Le petit prince
Il
Avant de naître, il était un rêve pour sa mère. Le petit prince a posé les yeux sur le monde en 1958. De son enfance en Savoie, on ne sait pas grand chose sinon qu’elle fut marquée par la majesté de la nature environnante et pénétrée par la sagesse d’un grand père adoré. La légende pouvait se révéler. Le petit prince grandissait, riait, se battait contre les plus forts que lui, se faisait des films intérieurs et déjà se levait tôt. Entre turbulences, amitiés, vélomoteurs, sport et musique, le petit prince entamait sa vie d’homme. Garnement passionné, rêveur invétéré, il a trouvé le temps, par amour, de se marier. Une envie d’absolu. Une sensibilité aiguë. Il connu une grande douleur, dans des souffrances durables, celle qui l’avait porté disparue. « Les meilleurs partent souvent les premiers . » Trace indélébile d’un chagrin indicible. Le petit prince pleurait à l’intérieur mais, courageusement continuait à suivre sa vie. Il aurait pu construire des routes ou des tunnels, son père le faisait avant lui, mais il se rêvait prince du rock and roll. Prince de la guitare, un jour peut être star. Pour se permettre de jouer et fidèle à tout prix, il suivit ses amis. Ainsi, le petit prince a appris la cuisine. Il était doué. « La musique c’est difficile, la cuisine c’est facile. » Le plus immense talent est sans doute de savoir ce pour quoi on est fait. Le petit prince avait cette intuition. Il accepta les faits. Avec ou sans regret, il ne serait pas prince de la guitare, il allait devenir prince de la fourchette.
Ses années d’accomplissement atypiques par excellence répondaient en écho à cette reconnaissance inattendue. « La cuisine permet toutes les rencontres, même les moins prévues. » Son parcours fut dirigé par un plaisir sans cesse renouvelé et sa farouche volonté. Il voulait être aimé. La mutation eu lieu sans incident, il eu un enfant. Du château de Divonne au Grand Véfour, il n’y a qu’un pas. Il le franchit aisément. Il devint parisien, prévision de son ultime succès prochain. Le prince de la fourchette cuisine à son image et parle de partage. Saveurs décalées de fantasmes inavoués, subtils mélanges d’harmonie qui se mange, son inspiration n’a d’égale que son imagination. Il est libre. Il dessine ses recettes. Le prince de la fourchette est un poète, sans cesse en quête. Quête de perfection, de réussite, de liberté ou du don, du bonheur sans doute, sublimée dans ses plats, il nous offre à savourer ses tentatives dévoilées. Dans cette évolution, intense et rapide, le prince de la fourchette a fait quelques concessions. Il a perdu ses illusions, à abandonner certaines aspirations. Son amour est en absence, dysfonctionnement de l’errance. Mais ne nous attardons pas, le propos n’est pas là. D’ailleurs, que l’on se rassure. « Globalement il est bien ». Tout dépend ce qu’il pense de la vie. En tous les cas, il a réussit l’impossible pari, réconcilier les extrêmes dans un sursaut d’énergie. Comment parler de lui ? Il a « la tête dans les nuages et les pieds dans la terre. »
Le monde a posé les yeux sur le prince de la fourchette en 1998. Symbolisme d’une moitié d’existence. Tournant de nos espérances. Le prince de la fourchette est devenu roi de l’assiette. Chef cuisinier de l’année, il n’a pas de plus grande reconnaissance à espérer. Pourtant, est il satisfait ? « Beaucoup seraient plus heureux que lui avec ce qu’il a. » Pourquoi ? Faille du prince de la fourchette qui a oublié le petit prince qu’il était ? Le petit prince souhaiterait parler, le petit prince ne fait que murmurer, lui aussi voudrait manger.