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Variation

Alice

C’est l’histoire d’une toute petite fille. Normale, vive, spontanée. Un peu trop émotionnelle. Beaucoup trop bavarde. Elle aimait le rire et les larmes. Boule de feu, boule d’émotions. Elle était aimée d’un amour tendre par ses grands parents. Son Papito et sa Mamita. Mamita, elle que j’ai si peu connue et qui disait à ma mère : “ Attention, Sandrine elle a l’air comme ça, mais c’est une hypersensible ”. Ils venaient d’Égypte. Un pays où l’on se touche, un pays où l’on exprime le trop plein. Ils l’ont autorisés à l’insouciance. Amour absolu. Importance de ces premiers instants. Importance de ces origines ensoleillées. Elle a pris le déracinement et l’errance. Cette étrange sensation de venir d’ailleurs. J’aime l’étranger, le voyage. Je me sens moins policée et moins engoncée que la froidure de l’occident. Je porte des milliers d’années d’histoire dans mon histoire. Le soleil et la mer. L’excès et la passion. La communauté et l’ouverture des maisons. La vie dehors et le bruit. Le mélange des générations. Les couleurs et les odeurs répandues. Étalées. Le toucher non sexualisé. Drôle de petite fille qui mangeait des mégots de cigarettes sur les plages et voulait porter des jupes. Qui avait besoin d’une attention de tous les instants. Qui prenait de la place aussi. Elle voulait toujours tout savoir. Elle riait aux éclats. Elle se vautrait pour avoir des câlins. Elle jouait beaucoup à la poupée, elle les maternait. Elle volait les bijoux de sa mère. Vive et gaie. La parole invétérée.

Elle était heureuse je crois, elle a grandi avec un véritable amour nourricier et salvateur. Son grand père. Tant bien que mal elle s’est adaptée mais pas trop. Grâce à lui, elle a aujourd’hui ce qu’elle appelle un noyau. Un centre indestructible qui rayonne et lui donne sa joie de vivre. Je suis certaine que rien ni personne ne pourra altérer cette force puissante et éternelle qui, même dans les pires moments me font dire que ma vie vaut la peine. Et puis, un jour, il a disparu. Ce jour là, elle l’a su. Intime conviction sans nom. Après est venue la confirmation. Ce jour là, elle n’a pas pleuré. Quelque chose venait de se briser. J’ai compris que nous n’étions pas immortels, que les gens que tu aimes disparaissent. J’ai perdu un repère positif et des millions de détails. Des courses dans une pièce, lui dans un fauteuil roulant moi sur mes petites jambes. Des fous rires et des concours de grimaces. Il m’a appris à jouer aux dames. Chaque fois que je perdais trop, il me laissait gagner une partie. Je le savait, il le savait. Je n’ai plus jamais joué. Souvenir d’une jalousie féroce un jour où au restaurant, une autre enfant lui a ouvert la porte. J’en ai pleuré. Une seule jambe et tant d’amour. L’humilité. Cela force le respect. Il ne s’est jamais plaint. Même lorsque la douleur lui faisait se mordre la langue. Quand il est parti à Paris pour se faire opérer une fois encore, une fois de trop, il m’a demandé ce qui me ferait plaisir. Il pourrait me le ramener. Je voulait une tête à coiffer et à maquiller. Il avait promis de m’emmener à Disneyland aux États-Unis. Il n’a pas pu. Il n’a pas voulu. Pourquoi ? Je n’ai saisi. Je n’ai pas compris. Pour moi, il m’avait laissée, abandonnée. Comment continuer ? Personne ne m’avait expliquer. On ne m’a pas permis d’aller à son enterrement. J’avais neuf ans. Les grands sont des ignorants. J’aurais voulu lui dire au revoir. Je pense à lui chaque jour. Avec le temps la souffrance s’est estompée. Après cette perte d’un être si cher, un re-père, elle a gardé une lumière dans les yeux parce qu’elle sait qu’à tout moment, il est peut être déjà trop tard. Parce que surtout il l’a aimé absolument. Et que si cela a existé, cela sera. Elle sait que cela est. Que le but de sa vie est de bien mourir. En accord avec elle envers et contre tous, y compris elle-même. Pour le meilleur de ce qu’elle est. Sans regret. Il est une de mes bonnes étoiles. Ma mère est la deuxième. Je suis toujours en vie.

Cette petite fille se posait trop de questions. Il la protégeait de ces parasites. Lui disparu, elle a pris la réalité en pleine face. Gifle monumentale. Elle n’était pas si gaie que ça. Sa tristesse l’a envahit. Elle a pris dix kilos pour se protéger elle même, d’elle même, de l’extérieur. Ne voulait plus mettre que des pantalons. N’avait pas d’amis. Petite adulte grandit trop vite, trop sérieuse, trop réfléchie, trop de vocabulaire. Première à l’école. Quatre ans de solitude. Une adolescence si facile à l’extérieur, si difficile à l’intérieur. Elle était dérangeante. Elle dérangeait. Les adultes et les enfants. Elle posait trop de questions. Il paraît que “ j’ergotais ” selon mon père. Que je cherchait la précision d’après ma mère.

Déjà cette obsession pour les mots. Leur sens véritable et ce qu’ils véhiculent. Dire « range ton bordel » n’est pas la même chose que dire « range tes affaires ». Pleurer mais ne pas chialer. Je n’est jamais eu d’autre moyen que celui ci pour comprendre. Comprendre tout ce que je percevais et qu’on me cachait. L’intention derrière les phrases. Comprendre pour ne pas sombrer. Toutes ces incohérences et ces secrets. J’aime l’honnêteté. Même si parfois, je me laisse emporter dans une communication falsifiée, émotionnelle.

Et sa mère, et son père. Dualité de ces deux êtres qui n’auraient jamais du se rencontrer et qui pourtant se sont aimés. Sa mère, la fantaisie et les sentiments, l’expression d’états d’âme sans nom, la tendresse des caresses, la liberté du corps, le monde et le bruit, la convivialité. La créativité aussi. L’intuition aussi. Le décalage parfois, entre les actes et les discours. Un peu trop de théorie. La volonté d’être parfaite. Le déséquilibre. Son père, la rigueur et la sécurité, les certitudes et les vérités assénées. Les projections car tout ce qui n’est pas prévu est dangereux, les principes, l’ambition, l’autorité. Le tabou sexuel aussi. Les interdits aussi. La carapace et la protection. La réussite.

Et cette petite fille voulait tant être aimée de ses deux parents si différents. Croyance que sans cela elle ne pourrait pas vivre. Alors, elle a choisi le plus difficile, l’amour le moins acquis. Celui de son père.

Avec sa mère, elle ne se sentait pas jugée. Trahit parfois. Moment de doute. Piège en pleine âme. Cœur qui bat trop vite. Quand cette femme qu’elle sentait si proche lui disait le contraire de la réalité, par peur de mal faire, d’être à coté. Premières inquiétudes. La spirale infernale. L’incompréhension. Premières angoisses du choix entre raison et sensation. Sa mère avait écrit un poème. Elle était une fleur sauvage, une fleur des champs. Un jour un jardinier l’a cueillie/coupée en lui promettant la sécurité. Un joli vase et une eau toujours propre. A l’abri des intempéries de la vie. La fleur des champs avait si peur du vent. Et pourtant. Pourtant, elle savait bien qu’elle finirait par se faner sans jamais repousser. Mourir enfermée. Elle est morte. Sa petite fille intégrait bien cette confusion. Palpable dans l’air ambiant. Elle l’a prise à son compte. Maman, pourquoi n’es tu pas juste toi même ? Maman, pourquoi as tu choisi de mourir ? Tu avais donc si peur de ta nature ? Des bouleversements qu’elle n’aurait pas manqué de provoquer. Tant besoin de sécurité. A tout prix. Au prix de ta vie. Je t’aime. Part en paix. Tu ne pouvais pas le faire ici. On ne nie pas éternellement sa vérité. Tu m’as laissée la marque de cette peur. Peur de l’abandon. J’ai la cicatrice de cette opposition. Entre réalité et intuition. Tu sais quand je sens ce conflit, je deviens incapable du moindre recul. Je suis submergée. Brisure fondamentale. Fissure qui devient faille. Je hurle la nuit si je ne m’écoute pas le jour. J’ai choisi de laisser faire plutôt que de le taire. Je ne m’inquiète pas, je sais qu’un travail intérieur est en train de se faire. Ce n’est pas si dramatique, c’est même positif. Ce n’est pas si grave.

Ce n’aurait pas été si grave si j’avais fait ce même choix quand la petite fille en avait besoin. Ce n’aurait pas été si grave si je n’avais pas en quelque sorte étouffée cette petite fille pour plaire à mon père. Peut être s’est elle reniée elle même pour l’amour du seul homme qui ne l’aimera jamais. Tout simplement parce qu’il ne sait pas aimer, parce qu’il ne s’aime pas sauf qu’il a réussi à faire taire ses voix. Maintenant, il est content, il a réussi socialement et gagne beaucoup d’argent.

Elle, elle n’a rien comprit. Elle a fait taire son rire. Elle s’est complexée. Elle a perdu de la vie. Elle est passée dans les cris. Les cris intérieurs de celle qui se hait. Déchirement de celle qui sait. Les cris extérieurs dans un conflit permanent. Seule solution à son exigence. Des années sans qu’un dîner ne se finisse dans les larmes. Il l’a menée en bateau. « Bateau, sur l’eau, ma tant tire re lire re lire, bateau sur l’eau, ma tant tire re lire re l’eau ». « Sèche toi bien partout ». Souvenir déchirants. Tourments. Il lui disait qu’elle parlait trop, qu’elle faisait tout pour l’emmerder. Tout. Son couteau à l’envers quand elle mangeait, son sourire avec ses gencives, son gros cul qu’elle ne levait jamais, sa voix trop forte. Il ne supportais rien. Et surtout ses questions. Et surtout ses émotions. Elle n’a jamais rien cacher. Sarah Bernard. On l’a surnommée. Seul moyen d’expulser pour être un peu plus propre de l’intérieur. Il lui a fait croire que c’est elle qui ne respectait pas ce qu’il était. Son besoin de silence, son goût du secret. “ Arrêtes de rire comme une bécasse ! ”. “ Tu me soûles, tu ne veux pas te taire ! ”. « Laisse les autres s’exprimer ! » Et elle a cru qu’il avait raison, qu’elle était chiante, que tout les problèmes venait d’elle. Qu’elle était indigne d’être aimée. Que c’est elle qui ne l’acceptait pas tel qu’il était et lui demandait de changer. Aujourd’hui, je sais, je sais que son regard rivé sur moi, c’était pour m’empêcher de parler. Ne pas dire ce que je savait.

Mais elle, la petite fille, l’adolescente, elle ne savait pas. Elle voulait désespérément qu’il l’aime. Elle aurait tant voulu, elle a tant essayé. Elle a tout fait. Elle n’aimait pas la fête, ni l’alcool, ni danser, ni chanter, ni rire. Elle était première à l’école. Elle voulait faire polytechnique ou HEC. Elle n’avait pas d’imagination. Pas de création possible. Pas de vie en dehors de lui. Simplement, elle a développé une incroyable faculté d’adaptation intellectuelle sur le concret. Elle s’est modelée pour correspondre à l’image rêvée. Elle était brillante et forte, surtout forte. Que cache son sourire permanent. Elle a cru qu’elle allait devenir folle tant la distance entre ce qu’elle sentait et ce qu’elle montrait était grande. Et le pire. J’ai cru un moment que je préférais celle que les autres voyaient. Mon image me plaisait plus que mon être. Système parfait pour se tuer. J’ai forcé, encore et encore. La folie comme seule porte de sortie. Et cette sombritude, cette désespérance qui parfois éclatait, lame de fond dévastatrice. Raz de marée. Envie de sauter par la fenêtre. Que ça s’arrête. Vouloir s’ouvrir la poitrine et s’arracher le cœur pour que ça s’arrête. Se faire mal physiquement pour ne plus avoir mal moralement. Évidemment, j’oubliais aussitôt et reprenais mon masque. Évidemment, je me servais de prétexte fallacieux, l’autre. Évidemment, j’ai rencontré des hommes qui ne pouvaient pas comprendre, qui ne pouvait pas entendre. Qui refusait cette fragilité, cette part de moi. Comment le leur reprocher. Ils faisaient comme moi. Évidemment, ils disaient comme lui. Qu’elle était insupportable, qu’elle cherchait trop loin. Évidemment je ne voulait pas de leur aide. Évidemment je leur ai fait croire qu’ils n’avaient jamais été autant aimés. Évidemment, tout cela est si confus. Évidemment, je ne voulait pas entendre cette petite fille si triste qui pleurait. Se sentait abandonnée. Je croyais que c’était eux/lui qui la rejetaient. En fait, c’était moi.

Et puis, un jour, je croyais que cette fois ce serait trop, que je ne m’en sortirai pas. Ce jour là, il y avait un ami. Instinct de survie. Merci. je me suis mise devant un miroir. Et je lui ai dit à cette petite fille perdue “ Je t’aime moi, je t’aime moi, tu es jolie ”. Et elle m’a sourit à travers ses sanglots.

Pendant vingt quatre ans je me suis refusée mon histoire, ma liberté. Heureusement, mes émotions me les rappelaient. Sans cesse. Sans merci. La mort ou la vie. Maintenant, je suis allée un peu plus vers moi même et vers elle. La petite fille mal aimée. Abandonnée. Je la laisse pleurer et aller se cacher dans les coins, jusqu’au bout de sa tristesse. De sa désespérance.

Je t’ai laissé me prendre dans tes bras à ce moment là, parce que moi même, je ne la jugeait pas. Laisser passer l’orage. Elle en a besoin. On ne la rassure pas comme ça après des années de refus. Elle veut dormir avec un nounours, pourquoi pas ? Elle veut s’exprimer avec sa vraie voie et voilà. Elle veut raconter des bêtises. Elle veut être l’enfant joueur. Elle veut être acceptée, aimée absolument. Pour l’instant, un rien ne la blesse. L’avantage c’est qu’un rien ne la met en joie. S’il te plaît, ne la refuse pas. Je pense que la première fois qu’elle a explosé avec toi, c’est juste parce qu’elle avait peur. Peur que tu lui fasses du mal. Peur d’être trop bien et de perdre ça. Elle s’est tu pendant plus d’un mois, contente pour la première fois. Appréciant mon choix. En accord pour une fois avec moi/toi. Et puis, pour une bêtise, elle est revenue à son angoisse primitive. Que tu lui demandes de disparaître, qu’elle n’aie pas sa place. Ce jour là, je lui ai parlé, tu lui a parlé aussi, en étant là, en ne le prenant pas pour toi, en étant toi. Tu l’as apaisée et moi aussi. Je n’avais jamais connu cette confiance, elle non plus.

Et puis, le lendemain et les jours d’après, tu as dit les mots de cirque, de crise, de scènes, comme si tout cela n’était qu’un jeu, un rapport de force. Tu as dit que tu ne supportais pas. « Je te hais quand tu n’es as bien ! ». Ce n’est pas moi, c’est elle. Elle qui est moi. Je dois accepter ça. Que je devais faire attention, prendre garde. Et tu as dit aussi que tu m’acceptais totalement et que moi, je ne t’acceptais pas. Alors, depuis, je suis rentrée dans mon scénario, je veux la faire taire. Elle le sait. Alors, ce n’est plus elle et son vrai désespoir profond mais sincère et juste donc sans danger qui s’exprime, c’est moi. Moi et l’hystérie débile. Moi qui préfère cet état, qui fait mon cirque, mes crises, mes scènes de femme névrosée plutôt que de prendre le risque que la petite fille un jour ou l’autre revienne avec son besoin absolu et que tu la rejettes, que je la rejette pour ne pas te perdre. Et elle, elle me nargue, elle me provoque en m’envoyant des messages négatifs. Regardes, il ne te comprend pas, il t’abandonne, il ne t’aime pas. Elle se venge.

Je sais que j’ai tord. Je sais qu’il faudrait que je me recentre. Je sais que notre relation est au dessus de cela. Tu m’en veux et tu as raison. Tu as envie de fuir et tu as encore raison. C’est à moi de lui dire ne t’inquiète pas, tu as le droit d’être là et tu as le droit de hurler ta tristesse infinie. Il sera là, il comprendra et si ce n’est pas le cas, je te protégerais moi. Alors, le reste du temps, ne provoque pas de parasites. Elle est là l’histoire. Soit elle apparaît une fois de temps en temps dans sa vérité et ce jusqu’à ce qu’elle ai définitivement compris que je l’aimait et que je ne l’abandonnerai pas ni ne la trahirait. Que je ne suis pas mon père qui lui demandais de disparaître ni ma mère qui lui cachait la réalité. Et que toi, tu es ni moi, ni lui, ni elle et que tu peux simplement en tant qu’être extérieur l’accepter et l’accueillir sans jugement. Soit elle est là en parasite tout le temps dans son mauvais coté, le pire, confus et sans fondement. Je te promets de remettre en question cette boucle infernale, je te promets d’essayer de voir venir et de te le dire plutôt que de l’écouter elle qui m’empêche de te parler pour rentrer dans son rôle d’incomprise. Promets moi en retour de m’aider à repérer les moments, d’en plaisanter. Attention, ton bip va sonner, tu n’aimes pas Bip Bip et le coyote. Promets moi surtout que lorsque ce n’est pas un jeu mais une véritable peur de petite fille, tu sauras être là, me prendre dans tes bras, te dire que tu ni peux rien sauf accepter, que ce n’est pas toi qui n’est pas à la hauteur mais elle qui exprime des peurs du passé. Je sais que tu peux, je sais que je peux. Je sais que je n’ai jamais été si proche de faire confiance à quelqu’un comme à toi. Je sais que tu m’apaises et que tu me réconcilies. La tête, le corps et le cœur, je souhaite plus que tout cette harmonie. La passion dans la douceur. Le sexe dans la tendresse. L’intelligence dans l’intuition. La star et le clown. Le boudin et le mongol. La petite fille et le petit garçon. La femme maternante et l’homme qui veut un enfant… Nous mêmes et nos images et nos carapaces et surtout le chemin vers la liberté, le tout possible.

Tout cela à la fois.

Je t’aime pour la première fois.

« La seule façon de traiter avec un monde non libre est de devenir si absolument libre que votre existence même est un acte de rébellion. »

Albert Camus